Conditions de validité d’une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d’actionnaires

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un pacte d’actionnaires

Par Sonia Vecchione, Avocate, Cabinet Simon Associés

Les clauses de non-concurrence continuent d’alimenter un contentieux abondant ainsi qu’en témoigne un nouvel arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass. com., 15 mars 2011, pourvoi n° 10-13.824).

Ces clauses, aux termes desquelles l’une des parties à un contrat s’engage à ne pas exercer d’activité de nature à faire concurrence à l’autre, pendant la durée des relations contractuelles et/ou après leur expiration, sont fréquentes dans les contrats de travail et dans certains contrats commerciaux (cessions de fonds de commerce ou de parts sociales, contrats de société ou pactes extrastatutaires, contrats de distribution…). Or, si ces clauses sont licites, elles sont strictement encadrées et, on le sait, les conditions d’appréciation de leur validité sont plus restrictives en droit social qu’en droit commercial.

En effet, lorsqu’il s’agit d’une clause prévue dans un contrat de travail, la chambre sociale de la Cour de cassation exige, pour sa validité, qu’elle soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, qu’elle tienne compte des spécificités de l’emploi du salarié, qu’elle soit limitée dans le temps et dans l’espace et qu’une contrepartie financière soit prévue, cette dernière condition ayant été posée par trois arrêts rendus le 10 juillet 2002.

Pour la chambre commerciale, il suffit en revanche que la clause soit limitée dans le temps et dans l’espace et qu’elle soit proportionnée aux intérêts légitimes du créancier au regard de l’objet du contrat. Elle n’impose pas de contrepartie financière (Cass. com., 24 novembre 2009, pourvoi n° 08-17.650).

L’arrêt rendu par la chambre commerciale, le 15 mars 2011, constitue donc une innovation majeure puisqu’il soumet les clauses de non-concurrence insérées dans un pacte extrastatutaire au régime de celles stipulées dans un contrat de travail, dans l’hypothèse où l’actionnaire, débiteur de la clause de non-concurrence, est également salarié de la société (1). Il en résulte que la clause est nulle si elle est dépourvue de contrepartie financière, et l’arrêt est également intéressant sur ce point, puisqu’il apporte des précisions sur la forme que peut revêtir la contrepartie (2).

1/ L’exigence d’une contrepartie financière

En l’espèce, le salarié d’une société spécialisée dans l’organisation des transports internationaux à Marseille et exerçant la fonction de « chef de groupe–responsable commercial et d’exploitation maritime export » s’était vu attribuer 40 actions en contrepartie de la somme symbolique d’un euro. Le pacte d’actionnaires comportait une clause de non-concurrence lui interdisant de participer ou de s’intéresser directement ou indirectement, à quel que titre que ce soit, à des activités de même nature que celles exploitées et développées par la société, étant précisé que cette interdiction s’appliquait également pour une durée de trois années après l’expiration du pacte (par suite de la démission des fonctions salariées). Le nouvel actionnaire s’engageait, en outre, spécifiquement pour cette seconde période, à ne pas démarcher activement les clients de la société.

Un an et demi après la signature du dit pacte, le salarié avait démissionné pour entrer aussitôt au service d’une société exerçant une activité concurrente à Marseille.  La société l’avait assigné aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice résultant de la violation de la clause de non-concurrence. Déboutée en première instance, le Tribunal de grande instance de Marseille ayant déclaré nulle la clause de non-concurrence, elle obtint gain de cause devant la cour d’appel qui, au contraire, l’avait jugée valable aux motifs qu’elle comportait une limitation dans le temps, que sa validité n’était pas subordonnée à l’existence d’une contrepartie pécuniaire et qu’elle était nécessaire à la protection des intérêts du créancier qui avait de nombreux clients dans la région marseillaise.

L’arrêt est sèchement cassé par la Cour de cassation qui énonce que « lorsqu’elle a pour effet d’entraver la liberté de se rétablir d’un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l’emploie, la clause de non-concurrence signée par lui, n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ».

Les juges du fond sont également censurés pour ne pas avoir recherché si la clause était limitée géographiquement.

Ce faisant, la chambre commerciale de la Cour de cassation applique aux clauses de non-concurrence prévues dans  un pacte d’actionnaires les conditions exigées pour la validité des clauses de non-concurrence insérées dans un contrat de travail. La solution, telle qu’énoncée, n’a cependant pas vocation à s’appliquer à tout actionnaire ou associé. En effet, en l’espèce, c’est bien la qualité de salarié de l’actionnaire qui a conduit la chambre commerciale à transposer la jurisprudence de la chambre sociale. Pour autant, la position prise par la Cour de cassation n’allait pas de soi : l’actionnaire était certes salarié de la  société mais la clause était stipulée, non pas dans son contrat de travail, mais dans un pacte extrastatutaire conclu en raison de sa qualité d’actionnaire et non de salarié.

Une telle solution invite par ailleurs à s’interroger sur le régime qui sera retenu dans l’hypothèse où le salarié est mandataire social, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La chambre commerciale fera-t-elle prévaloir le régime applicable aux salariés ? La question reste ouverte.

La portée de l’arrêt et ses conséquences ne doivent pas être minorées.

En raison de l’effet rétroactif attaché aux décisions rendues par la Cour de cassation, la règle énoncée a pour conséquence d’invalider toutes les clauses de non-concurrence signées à ce jour par un associé salarié et qui seraient dépourvues de contrepartie financière. Ce dernier pourra également obtenir des dommages et intérêts.

Sur cette question, on ignore si la chambre commerciale s’alignera sur la jurisprudence de la chambre sociale particulièrement favorable au salarié puisqu’elle juge que la stipulation dans le contrat de travail d’une clause de non-concurrence nulle lui cause nécessairement un préjudice (cf. pour une application récente : Cass. soc., 12 janvier 2011, pourvoi n° 08-45.820).

Il convient néanmoins de rappeler que la nullité de la clause de non-concurrence, due à l’absence de contrepartie financière, ne fait pas obstacle à l’action en concurrence déloyale engagée par l’employeur contre son ancien salarié dès lors qu’il démontre que ce dernier s’est livré à des actes de concurrence déloyale à son égard (Cass. soc., 3 novembre 2010, pourvoi n° 09-42.572).

2/ La notion de contrepartie financière

La Cour de cassation apporte une précision importante sur la forme que peut prendre la contrepartie financière exigée. Tout en indiquant que la validité d’une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d’actionnaires n’est pas subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière, la cour d’appel avait ajouté : « au demeurant, le droit d’entrée [de l’actionnaire] dans le capital social [de la société] a été symbolique (1 euro) et constituerait la contrepartie financière ».

L’arrêt est également cassé sur ce point mais la Haute juridiction se fonde sur les termes du pacte d’actionnaires qui, en l’espèce, précisaient expressément que l’attribution des actions était réalisée en contrepartie des « bons et loyaux services » du salarié, de son « implication personnelle » dans l’activité et le développement de la société.

Cette motivation laisse à penser que le prix symbolique de la cession peut valablement constituer la contrepartie financière dès lors que les parties se sont expressément prononcées en ce sens. Si cette analyse était confirmée, la chambre commerciale se démarquerait donc de la chambre sociale.

D’une manière plus générale, la question qui se pose concernant la contrepartie financière est celle de savoir si la chambre commerciale, qui exige désormais cette condition, s’alignera sur la jurisprudence de la chambre sociale. Cette dernière décide notamment que la contrepartie financière a la nature juridique d’une indemnité compensatrice de salaire ouvrant droit à l’indemnité de congés payés, que son paiement ne peut intervenir avant la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 7 mars 2007, pourvoi n° 05-45.511) et que son montant ne peut être dérisoire (Cass. soc., 15 novembre 2006, Bull. civ. V, n° 341). Qu’en sera-t-il pour la clause de non-concurrence d’un associé salarié insérée dans un pacte d’actionnaires ? Les solutions dégagées en matière sociale seront-t-elles purement et simplement transposées?

On le voit, l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, outre son impact pratique non négligeable, suscite bon nombre d’interrogations.


Sonia VECCHIONE,
Avocate
SIMON ASSOCIÉS
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