Portage salarial : un accord contesté

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Portage-salarial

Le portage salarial est une forme de travail autonome organisée entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes. C’est un statut juridique et social permettant à des freelances d’exercer leur activité dans un cadre simple et sécurisé. Il permet également aux entreprises de mobiliser des spécialistes externes pour des projets spécifiques ou ponctuels pour lesquels elles ne pourraient pas embaucher.
En juin 2008, la loi de modernisation du marché du travail définissait juridiquement ce statut et prévoyait de confier à une branche, dont l’activité serait considérée comme la plus proche du portage salarial, la mission d’en organiser l’exercice dans un délai de 2 ans. Un accord a été signé, en ce sens, le 24 juin 2010 entre le PRISME et les organisations syndicales. Rencontre avec Baudouin des Courtils, président de la Fédération Nationale du Portage Salarial (FeNPS) et dirigeant d’Abscisse Partners.


Entreprise-et-droit : La loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 a inséré un article L. 1251-64 dans le Code du travail définissant le portage salarial. Pourquoi se trouve-t-il dans le chapitre sur le travail temporaire ?

Baudouin des Courtils : Le portage salarial a été inséré dans ce chapitre sous l’influence du PRISME, le syndicat patronal de l’intérim, qui s’intéresse à ce marché et a manœuvré en ce sens depuis un certain temps. En effet, le portage et l’intérim ont en commun une relation triangulaire entre un client final, un intervenant et une société intermédiaire. C’est sur cette ambigüité que le Prisme a joué, car si ce schéma triangulaire peut sembler similaire sur un plan statique, les deux activités sont en fait dans une dynamique diamétralement opposée.

L’intérim est, en effet, un service aux entreprises qui répond à leurs besoins en ressources humaines, alors que le portage est résolument au service du porté. En cas de conflit d’intérêts, l’intérim sera logiquement du côté de son client donneur d’ordre, alors que la société de portage a son intérêt lié à celui du porté. Elle n’est pas, par nature, du côté du client final puisqu’elle ne reçoit aucune directive de sa part.

E&D : En quoi cette loi a-t-elle été une avancée vers la mise en place d’un cadre juridique de cette activité ?

B.d.C. : En juin 2008, le droit positif a enfin acté l’existence du portage. Bien qu’utilisé sous ce terme de « portage salarial » depuis plus de 20 ans, il ne relevait que de l’interprétation du droit et risquait une qualification de délit de marchandage ou de prêt de main-d’œuvre illicite.

E&D : Le Code du travail interdit effectivement le prêt de main d’œuvre à titre lucratif en son article L. 8241-1. Quelles sont les raisons qui ont justifié de faire du portage salarial une exception à ce principe ?

B.d.C. : Le portage salarial est une alternative aux autres statuts de travail autonome que sont l’auto-entrepreneur, l’EIRL ou le travailleur indépendant. C’est une solution plus souple, plus sûre et plus facile à mettre en œuvre pour exercer son activité. C’est également un argument commercial vis-à-vis du client final en matière de crédibilité, de sérieux et d’assurance RC.

Selon moi, ses cinq points forts sont les suivants :

  • la sécurité du statut de salarié en matière de couverture sociale ;
  • la facilité et l’efficacité administrative : la société de portage s’occupe de l’ensemble des démarches liées non seulement à la création du statut, mais aussi ensuite de toute l’administration comptable, fiscale et sociale ;
  • la protection juridique : la société de portage est responsable civilement des activités du porté, qui est donc protégé par cette solution ;
  • l’accompagnement : le porté, contrairement à un indépendant, n’est pas seul pour faire face aux différents aspects de son activité ; la société de portage a un intérêt conjoint avec le sien à ce que ses activités se développent au mieux et elle met donc volontiers à la disposition du porté ses compétences en interne, ses réseaux et ses fournisseurs ;
  • une assurance pour le client final d’avoir en face de lui une société qui a pignon sur rue, qui a des procédures et qui offre un certain nombre de garanties et de voies de recours. Elle évite notamment le risque objectif de requalification en contrat de travail que peut faire peser sur le client final le fait de recourir dans certains cas à un auto-entrepreneur ou un indépendant.

E&D : Le 24 juin 2010, un accord relatif au portage salarial a été signé. Répond-il à vos attentes en matière de réglementation ?

B.d.C. : Lors de la signature de l’Accord National Interprofessionnel  (ANI) de janvier 2008, la Fédération Nationale du Portage Salarial (FeNPS) était exclue des débats. Et pour cause : sous l’influence du PRISME, nous n’avons pas pu adhérer à la CGPME ou au MEDEF et nous n’étions donc pas représentés. Or les interlocuteurs présents autour de la table ne connaissaient pas suffisamment le sujet pour en avoir une vision claire et ont suivi les recommandations appuyées du Prisme.

Néanmoins, sous l’influence de la profession qui s’est fait vivement entendre à la suite de l’ANI, Xavier Bertrand, Ministre du Travail au moment du vote de la loi, a enjoint l’intérim de nous « consulter » durant les négociations paritaires qui allaient s’ouvrir consécutivement à la loi. Et nous avons effectivement été poliment « consultés » pendant les deux années de négociations qui ont suivi, mais sans avoir pu faire prendre en compte nos principales demandes. Le résultat est là : l’accord signé le 24 juin dernier par le Prisme et trois syndicats de salariés est largement discutable : au lieu de sécuriser et règlementer le portage salarial, suivant la mission donnée par la loi, cet accord redéfini un nouveau portage élitiste et restrictif, réservé aux cadres gagnant plus de 2 900 € bruts par mois !

E&D : L’accord énonce, dans son article 2, que les salariés portés ont le statut cadre. Les non-cadres ne sont-ils pas concernés par le portage salarial ?

B.d.C. : Avec plus de 200 métiers pratiqués en portage, notre fédération et ses adhérents démontrent que cette forme de travail répond au besoin d’une population bien plus large que les seuls cadres ou les professionnels exerçant uniquement des métiers intellectuels. Il n’y a donc aucune justification, ni sociale ni économique pour limiter ce statut aux cadres. Sauf à penser que l’intérim qui dirigeait ces négociations ait eu pour visée de tuer la concurrence du portage salarial non-cadre.

Ce qui définit et fonde le portage, c’est l’autonomie du porté dans la négociation et la réalisation de ses missions. Cet accord signifierait-il que les non-cadres et les professions autres qu’intellectuelles sont incapables d’autonomie ? Posez la question par exemple à tous les indépendants et les artisans, et vous verrez leur réaction !

E&D : De même, un seuil de revenu minimum a été fixé à 2 900 € bruts mensuels. Cette limitation se justifie-t-elle ?

B.d.C. : Ce seuil de 2 900 € de salaire brut minimum mensuel est une ineptie et une iniquité absolue, sans compter que s’y rajoutent suivant le cas 10% de prime de précarité, 5% d’indemnité de clientèle et 10% de congés payés. Cela correspondrait à un chiffre d’affaires toutes charges comprises de plus de 60 000 € par an. Cela signifie-t-il que tous ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir atteindre ce salaire (et ils sont nombreux !) n’auraient pas droit à un statut qui est aujourd’hui la manière la plus sûre, la plus simple et la plus souple pour travailler de manière autonome. Il me paraît donc absurde d’en exclure des personnes dont l’activité est pourtant viable.

Surtout, le portage concerne aujourd’hui une population estimée entre 30 000 et 50 000 personnes en France et un potentiel, chiffres à l’appui, de l’ordre de 500 000 à 600 000 personnes qui ne se réalisera pas si l’accord s’applique en l’état. Ce seuil de revenu conduirait, en effet, à la fermeture d’un certain nombre d’entreprises de portage et au licenciement de près de 60 % des portés.

E&D : Pour que ses dispositions soient applicables, l’accord doit être transposé dans une loi. Comment voyez-vous l’avenir du portage salarial ?

B.d.C. : Nous avons la conviction que le Gouvernement, n’étendra pas l’accord en l’état, car il est trop peu consensuel et trop peu conforme à la réalité du portage. Par ailleurs, d’un point de vue technique, l’extension ne pourra pas intervenir tant que le Code du travail n’aura pas été adapté à certaines de ses dispositions. Nous espérons donc que le passage devant le Parlement sera l’occasion de rouvrir le débat de manière plus large et cohérente, et nous ferons tout pour que ce soit le cas. Compte tenu du calendrier parlementaire, cela ne devrait pas être à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale avant le printemps 2011.

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