Le contrat-type de commerce électronique pour la sécurité juridique

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53 % d’augmentation pour 2004 du nombre de ventes en ligne réalisées en France : une tendance qui ne se démentira sans nul doute pas dans les années à venir.
Pionnière de ces questions, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris avait, dès 1997, entrepris la rédaction d’un contrat-type de commerce électronique. A l’époque, elle avait réuni au sein d’un groupe de travail d’éminents juristes et techniciens qui avaient ainsi conjugué leurs expertises. Le résultat ? Un contrat-type cité en exemple par le Conseil d’État et qui est devenu LA référence.
A l’occasion de la mise à jour de ce contrat-type, le professeur Michel Vivant, professeur agrégé à l’université de Montpellier, directeur du Lamy Informatique et Réseaux et associé au cabinet Gilles Vercken à Paris, a accepté de partager avec entreprise-et-droit sa vision de l’économie numérique.

Entreprise-et-droit : Avec la CCIP, vous avez été précurseur dans la rédaction d’un contrat-type de commerce électronique. Pour sa mise à jour, vous apportez à nouveau votre éclairage précieux. Ressentez-vous vraiment une attente des entreprises envers cette actualisation ?

Michel Vivant : Oui, le besoin d’un contrat-type se manifeste de manière très claire. Déjà, lors de la première rédaction, il y avait eu un réel engouement pour ce contrat.
Sa mise à jour était nécessaire, à la fois parce qu’il y a eu des évolutions législatives qu’il faut enregistrer mais aussi parce qu’il y a eu des évolutions dans les pratiques. Surtout, nous avons assisté à un véritable boom du commerce électronique alors qu’au moment du premier contrat-type ce phénomène se profilait simplement à l’horizon, en tout cas pour la France.

E-et-D : Vous parlez du boom du commerce électronique. Les chiffres montrent qu’il a  » explosé  » en France ces dernières années. Comment l’expliquez-vous et comment voyez-vous son évolution ?

M. V. : Comment l’expliquer ? Je crois que la première des raisons, c’est que les consommateurs ont franchi un seuil psychologique qui était, au fond, un seuil d’inquiétude : la peur de commander en ligne. Internet et le commerce électronique se banalisant de plus en plus – et bien que ce dernier ne soit pas encore globalement entré dans les mœurs – l’achat et la vente en ligne sont devenus un mode de transaction largement accepté par ces mêmes consommateurs.
C’est d’ailleurs un point que nous avons mis en avant dans les travaux autour du contrat : le commerce électronique a besoin de sécurité pour se développer vraiment. Il y a bien sûr la sécurité technique à laquelle, en tant que juristes, nous ne pouvons naturellement contribuer. En revanche, nous sommes là pour apporter des solutions à la possible insécurité juridique. Le contrat a cette fonction.

E-et-D : Cela signifie-t-il que le rapport de confiance ne s’établit pas spontanément entre le consommateur et le professionnel dans une relation virtuelle ?

M. V. : Je ne poserais pas la question en ces termes, ce n’est pas tellement l’aspect vendeur-consommateur qui est en cause. C’est plutôt que l’instrument Internet, le cyberespace si vous préférez, fait parfois peur. Certains le voient comme quelque chose d’extraordinaire, d’autres comme quelque chose d’assez inquiétant parce que non-maîtrisé.

E-et-D : Justement, est-ce qu’aujourd’hui le monde des affaires s’est familiarisé avec le monde virtuel qu’est Internet ou est-il encore hésitant ?

M. V. : Je crois que c’est extrêmement variable. Comme vous le savez, il y a des entreprises qui n’ont de réalité que sur Internet, c’est leur activité, elles ne se meuvent que dans ce contexte. Et puis, il y a aussi des entreprises plus traditionnelles…
Il existe en fait un large spectre d’entreprises qui recouvre vraiment toutes les situations : celles qui ont vraiment basculé dans l’Internet, celles qui font d’Internet une activité complémentaire, jusqu’à celles qui restent dans le commerce traditionnel.
Il est donc assez difficile de parler des entreprises en général, il y a un coefficient de variation important qui peut être aussi lié au secteur d’activité.

E-et-D : Revenons aux débuts d’Internet… Aux prémisses de cet outil révolutionnaire, certains juristes avaient écarté la création d’un droit qui lui soit propre. Pourtant, de plus en plus de dispositions spécifiques sont créées. Un véritable droit propre à cet outil semble se dégager. Qu’en pensez-vous ?

M. V. : Si l’on se contente d’un regard en surface, alors on peut se dire que oui, qu’il y a des quantités de dispositions particulières, ce qui validerait donc l’idée d’un droit spécifique. Mais, le tout est de savoir ce qu’il convient d’entendre par spécificité.
Il y a des principes qui restent fondamentalement semblables entre l’univers  » présentiel  » et celui virtuel (j’utilise volontairement le terme  » présentiel  » qui est québécois que je préfère au vocabulaire français d’univers réel). Et, finalement, j’ai le sentiment que les variations quelquefois ressenties comme étant extrêmement fortes entre ces deux univers sont plutôt d’ordre technique.
Par exemple, on s’est beaucoup interrogé depuis des années sur le point de savoir si le contrat devait être passé à travers 1 clic, 2 clics, 3 clics, etc. Ce qui en fait ne veut pas dire grand chose. Aujourd’hui on considère – et je veux bien le dire avec les autres – que la directive communautaire, et par voie de conséquence le droit français, posent en règle que le contrat de commerce électronique suppose un double clic. Certes, mais au final une analyse menée avec un peu plus de profondeur et avec un peu plus de recul, montre que c’est fondamentalement le même type de démarche que dans l’univers  » présentiel  » !
Quelle est cette démarche ? Vous rédigez un document qu’ensuite vous lisez puis signez. Transposons ceci dans l’univers de l’Internet : vous passez votre commande, vous recevez un récapitulatif puis vous l’acceptez. Le processus est le même ! Bien sûr, classiquement, il ne comprend pas, par exemple, les deux fameux clics. Mais, sur le fond, la démarche reste similaire.
Pour en revenir à votre question, on ne peut pas vraiment dire s’il y a, ou non, création d’un droit spécifique à Internet. Pour moi, il ne faut pas s’attarder à tel ou tel  » gadget  » destiné à régler des petites situations ponctuelles. Il ne faut pas oublier que le plus important c’est la permanence.

E-et-D : Internet est un outil  » mondial  » qui ne connaît pas de frontières et permet – a priori aisément – la conclusion de relations commerciales entre des personnes de différents pays. Concrètement, quel droit régit ces relations ? Peut-on parler de droit international d’Internet ?

M. V. : Non, il n’y a pas de droit international au vrai sens du terme, c’est-à-dire un droit qui serait transfrontière. C’est même, à mon avis, la difficulté majeure d’Internet.
S’agissant de commerce, il faut bien distinguer entre le B 2 B et le B 2 C. Dans le premier cas, si un problème surgit, il va pouvoir être traité de manière classique et similaire à celui rencontré dans n’importe quel type de contrat international.
En revanche, dans le second cas, c’est déjà beaucoup plus complexe. Là, toutes les attitudes peuvent être adoptées. Le fait est que le droit de la consommation va s’imposer souvent contre les dispositions que le commerçant voudrait voir appliquer à son contrat.
J’ai défendu la thèse – j’ignore si elle se vérifiera – que peu à peu la pratique est susceptible de faire naître une loi véritablement internationale. C’est-à-dire, pour reprendre l’expression de Berthold Goldman, une lex mercatoria, une loi des marchands, au sens de droit  » vraiment international « . Cela se vérifiera sans doute sur 10, 15 ou 20 ans. Qu’un commerçant soit aux Etats-Unis, en Australie, en France ou en Allemagne, il doit faire face aux mêmes difficultés. Le consommateur, quel que soit l’endroit où il se situe, ressent les mêmes besoins. Je vois mal comment il ne pourrait pas y avoir une convergence de solutions au-delà des lois.
Pour dire les choses concrètement, le commerçant va proposer au consommateur telle possibilité de revenir sur le contrat dans tel délai. Peu importe les limites que la loi française, la loi allemande ou la loi italienne contient si le commerçant fait, dans un but commercial, une offre plus intéressante. Un point de droit international est susceptible ici d’apparaître. Je pense d’ailleurs que si cela pouvait se mettre en place, ce serait une bonne réponse à la difficulté que je qualifiais tout à l’heure de majeure, à savoir l’absence d’un droit transfrontière de l’Internet.

E-et-D : L’OMC établit des règles commerciales à l’échelle mondiale. Que pensez-vous de la création d’une OMI (Organisation Mondiale de l’Internet) qui serait son pendant pour le monde virtuel ?

M. V. : [Rires] On peut tout imaginer ! On peut faire une magnifique usine à gaz nationale et des usines à gaz internationales avec des ramifications locales ! On pourrait effectivement développer une telle structure mais vous avez sans doute compris que je n’étais absolument pas convaincu par cette idée par ailleurs… très intéressante.

E-et-D : Revenons au contrat type : finalement protège-t-il davantage le consommateur ou le professionnel ?

M. V. : Le contrat-type de la CCIP est très équilibré. Il faut d’abord voir qu’il est adopté dans un contexte européen. Il y a donc différents éléments qui s’imposent au rédacteur, sauf à considérer un commerçant imaginatif et créatif comme je l’ai dit précédemment qui irait au-delà des exigences légales.
A partir de là, il y a effectivement un équilibre : le contrat a été pensé pour assurer la sécurité au professionnel tout en faisant en sorte que le consommateur soit protégé. Ce n’est nullement contradictoire.
Votre question renvoie à un débat qui a eu lieu à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ainsi qu’au sein du patronat français et européen. Deux thèses s’affrontent. L’une consiste à dire que si la protection du consommateur est assurée, les entreprises n’oseront jamais vendre sur Internet. L’autre thèse adopte davantage l’esprit d’entreprise et soutient que si l’entreprise veut être performante et assurer le développement du commerce électronique, elle ne doit pas être frileuse. Pour moi, cette seconde thèse est la bonne. Un bon contrat est celui qui réunit les deux intérêts parce que si le consommateur – on retrouve ici l’idée de sécurité – se sent protégé, il sera prêt à s’engager, ce qui est dans l’intérêt de l’entreprise.

E-et-D : Une petite question de conclusion… Etes-vous, vous-même, un grand cyber-consommateur ?

M. V. : Un grand cyber-consommateur, non. Un cyber-consommateur, bien sûr. Je recours à Internet non pas comme à un gadget mais comme à un outil pratique. S’il s’agit d’acheter des chaussures, je préfère les essayer et ne vois pas la nécessité d’aller sur un site. En revanche, pour un livre qu’il est difficile de se procurer par le canal ordinaire, c’est beaucoup plus simple d’aller l’acheter sur Internet.